sans connaissance

Dans ce roman à la langue crue, détonante et pleine d'humour, Éric McComber nous raconte l'histoire tragi-comique d'Émile Duncan, de son enfance dans le Montréal-Nord des années 1970 - violence et « granolisme catho-colonisé » - jusqu'à sa plongée dans la sensualité brute et l'alcool, entre neige sale et ciel bleu.
— David Rochefort

mardi 12 décembre 2006

Le Ripper




Pis là, y msembe, me su réveillé.
Couché en boule à terre, assommé pal bruit dla TV qui grichait. Une biér à moitié pleine dans main, une dizaine d’autes corps morts autour de moué. M’étais pourtant endormi sul divan… Y était rendu où l’divan ?
Quasiment tutes lé chaises dla bâtisse taient rvirées à l’envers. Flagos dormait en arriére de moué sua tab la moins couverte de bouteilles vides. Marcoux tait allongé dans lfond dla pièce, proche dla porte des touèlettes, pis y tètait ben mollement le fond dson 40 onces. Lsoleil commençait à seulver. J’avais encôre une fouais soué yeux l’agonie du Ripper.
Me sulvé, j’ai fermé à TV pis j’ai traversé l’no man’s land ktait devnu l’snowshack. Tute ski avait dan hé trois grosses poubelles vartes tait rendu sul prélart pis ça smélangeait ek lé bouteilles câssées dans une couples de flaques pas trop trustables. Lcylind qui rtenait à porte tait arraché. Aussitôt qu’y avait un coup d’vent, à s’en allait varger sul mur de tôle déhors. Y manquait yenk dé zurlements de corneilles... Chu passé par dessus Marcoux pis chu rentré din toilettes en espérant pas avouère à rvouère mon souper.
Faque me vlà encore en train dfrencher lbol d’une toilette rendue un peu trop chummy. Encore un aute vendredi souère en Ontario, kek part ente Hearst pis nulle part, sul bord dla Trans-canadienne Nord, en plein milieu d’une forêt de pins brûlés. Un aute veillée passée din campe qui a l’air d’une pinte de lait éclairé par 23 fluorescents. Quat murs, quat châssis, pis ldéhors en tôle brune assez forte pour toffer les mouches noires l’été pis les hivers de mongol du nord dl’Ontario ek ses freaks de Ski-Doo. Six grands tables ek dé pattes pliantes, un bundle de chaises d’école qui mène du train quand on hé tire, deux divans pis une tv-vidéo. Lé visiteurs sont lé bienvenus.
Un aute soirée passée à entende dé flôs dToronto parler d’ampoules aux pied : « And it’s like, so painful you know, eh? See ?? Soooo huge ! I’m sure I won’t be able to plant on Monday.»
À écouter des filles de Laval s’extasier dvant lé mérites du métier : « Moué jtrouve ça dvaleur que tu chiales de même. Paske que dans lfonds là-là, cé pas si pire que ça icitte. Pis tsé, cé vrai qu’on l’aide la natsuure en plantant cté zarbs là !»
À hé zentende marchander leu morale de fait ben, qui fait qu’on peut pas chialer après hé calls des boss. Paske que peu importe à quel point t’as l’impression que tu tfais chier tsu, spa grave, cé tellement un beau trip.
Stu veux fére d’aute, à part te rtourner, finir ta biér pis la câlisser sul mur.
Y reste encore trop dtemps. Trop dtemps à sfaire sonner hé poignets en piochant à grands coups de pelle un boute du Bouclier canadien. Trop dtemps à porter à longueur de journée des sacs remplis dplants d’épinette nouère. Trop dtemps à faire des line-up dans pinte de lait en tôle chaque fois qu’y faut manger ou chier. Trop dtemps à endurer dé ti-culs qui apprennent encore à pas vomir partout après leu cinquième biérs, à endurer lé zurlements dceux qui sont capab d’en caler six de suite.
Lvertige pogne en même temps kla bouteille pète.
Ça prend plus qu’une biér pour rfouler la claustrophobie pis l’agoraphobie. Pis au moins une ou deux autes de plus pou sconvainc que tute ça cé pas la continuation de la tradition du pea soup. Planter dé zarbs à 10 cennes chaque pour Kimberley Clark, dé fouais j’ai l’impression ksé pas tellement mieux que dfére dla drave sua Matapédia pour lé fréres Price à une piastre par jour. Ché pourtant que jperpétue rien d’aute kla tradition de s’saouler à yeule au Ripper du vendredi soir. La drave sta une job d’homme, fére descendre dé billots su une riviére en essayant dpas snèyer. Moué, je plante jusse dé zépinettes pour une multinationale qui prévouait lé crisser à terre dans 20 ans.
Mé j’aurai beau boire 60 biérs pour tute oublier pis j’aurai beau chialer autant comme autant, à fin dla journée, jfais quand même partie de tute ça. Si jreste, cé kj’ai juste pas lguts de partir, pogner une vraie job en ville, din building propre ek des garçons aussi propres pis des filles qui sentent bon pis qui font caca dans dé toilettes frottées par dé gars comme moué.
Pis jpars pas. Jchiale tout bas pis jcontinue. Cht’un citoyen responsable, jveux mon chômage. Jme console, en m’essuyant à bouche pis en crachant des resses de spagati, en mdisant ksa pourrait ête pire. Jpourrais ête en train d’essayer dtrouver un concept jeune et rafraîchissant pour vende du papier cul.

Chu sorti dla touèlette en mdemandant skié tait arrivé à mon divan. Y était ptête rendu en plein milieu du lac : kekun va l’avouère crissé dans chaloupe pis va s’ête mis à ramer jusqu’à temps que ltrip de mess débarque. Lé sofas toffe pas longtemps dans lsnowshack. D’habitude on sfie au nombe de divans pour compter ltemps qui resse au contrat.
Me su arrêté à côté dMarcoux. Y avait dla bave partout sul menton.
—Squyé ldivan ?
—Quel divan ? qu’y mrépond avec sa voix dfin dveillée en stournant vers lmur.
—Ldivan qu’y était en d’sous moué quand chu passé out.
—Kessé qu’tu veux ksa m’câlisse que ldivan soye passé out en d’ssous d’toé.

Y a un coup de fatigue qui m’a pogné drette là. Pourquoi parler ? Marcoux yé plus apprécié quand kyé silencieux. Jvoulais jusse savouèr comment que lparty avait été après que jsoye tombé knockout. St’une façon dme désennuyer avant de rtourner à ma tente pis de rtomber dans lcoma. Mais là ça s’éternisait. Ct’épuisant l’éternité en Ontario.
—Marcoux, câlisse… que j’y dis, en l’brassant avec un pied.
Yé vnu blême pis y sé lvé press d’un coup en s’essuyant l’menton avec la manche de son gilet. Lé yeux rouges pis vitreux.
—Cé Ti-oui pis Castonguay qui sont partis avec… y étaient sua mess ben raide… La dernière fouais kjé z’ai vus… Y voulaient l’installer sul quat roues pis mett lquat roues dans chaloupe.
—Y l’on tu faite ?
—Lsé tu moué? Peuvent ben scrosser tsu en péchant dé ménés… Qu’y brûlent lcampe au complet si y veulent, tant qu’y mpiquent pas ma bié, jm’en tabarnac…
J’ai laissé Marcoux pendant qu’y s’accotait sul mur pour s’en déboucher une. J’ai donné un coup de pied dans porte, la tôle résonnait encore quand chu sorti, pis jme su en allé au feu de camp.
Y a un odeur de gaz mixé, de métal chauffé pis de bois coupé qui m’a rentré din narines en même temps quj’avalais du sable. J’ai compris en me touchant ltibia que jm’étais enfargé dans débroussailleuse paske kekun avait essayé dscier l’snowshack avec. Était resté d’même. La scie dans tôle.
En me rlevant, j’ai vu qu’y avait encore un peu de vie autour du feu. Gudule brassait à braise sans trop de conviction, y avait l’air endormi tellement qui était tranquille. Jm’entendais ben avec lui, on sparlait pas, on s’entendait ben. Sé dur de trouver dl’intimité din campe de 70-80 planteurs qui cherchent tutes à fére entende leu zistouères. Y était pas du genre à chercher l’attention pis à poser dé questions. Me su assis en face de lui pis j’ai commencé à brasser lrestant de feu. Ça faite lver kek tisons.
La scène tait pas mal trop romantique. Un tit feu de braise sul bord du lac embrumé, lé canards qui pataugent en dormant, lé zaraignées qui tissent leu toiles éclairées par la lune pis lsoleil qui sleuve, l’orignal qui travarse la route…
Faut vraiment kle planteur allume quand y voit cte genre de piéges là pis qui comprenne que ça vaut pas dla marde.
Sé tout ltemps sté moments là qui rviennent quand sé ltemps décider, à chaque mois de février, si t’ertourne planter un aute été. Tu tsouviens de la tite ride en char d’après souper pour aller acheter une creume molle au village, mais jamais dla smaine passée à travailler pis à dormir à pluie battante pis à grosse grêle.
Me sulvé pis cht’allé chercher lplus gros boute de bois kjé pu trouver. Jl’ai ramené en ltirant, en faisant une grand trace dans lsable, pis jlé pitché dans lfeu lplus fort que j’ai pu. Une trâllée dtison a lvé jusqu’au top dé squelettes de pins. Pis là, jusse le temps dvouèr un étincelle sposer su une branche, me su souvenu qui faut klé pins brûlent pour qu’y rpoussent. Lé feux de forât font chauffer lé cocottes pis ça fait ksa libère lé graines. Ltison est mort, mon focus est rvnue sua braise. Mon log allumait pas.
J’ai watché Gudule, sé joues taient pleines de larmes. Quand y a vu que jle checkait, y sélvé toute d’un boute pis yé parti vers sa tente.
Cé là kjé rmarqué lé springs de mon divan dans lfeu.
Un divan de moins. Faque, on tait rendu à mi-contrat. Sta décevant. Pas yenk à cause de ske ça voulait dire, encore un mois et dmi à planter, mais pou lgeste tout court. Lvouèr sua chaloupe au milieu du lac ou bedon scié en deux su ltoit du snowshack, ça rait fait changement. Lfeu, ctait facile. Chaque année lé divans brûlent. Y a moyen d’ête plusse original tant qu’à tute défére.
Y a une légende, kek part dans lfolklore du snowshack, qui dit qui a un divan qui a déjà été droppé en plein milieu dla Trans-canadienne aux alentours de 4h du matin. Y avaient posé une pancarte dessus, pis à disait « Indian Licker This way » avec une flèche qui pointait vers lcampe. Y avait du flag qui partait du divan pis qui srendait à tente d’un planteur que tout lmonde appelait Burnman.
Sé surprenant lnombe de chars qui travarsent le Canada à 4 ou 5 h du matin. Y avaient pas mal tutes évité lsofa qui niaisait sua ligne jaune pan-canadienne, mé y a dé natives qui staient arrêtés.
Ctait pas n’importe quels natives, ctait quatre mafieux dla réserve. Y en a deux qui pensaient qu’une dleu prostituées stait faite enlever pis lé deux zautes disaient ksta une histouère d’alcool. Y ont pas pris de chance. Y ont traîné l’divan su 900 pieds, jusque sua tente à Burnman, pis y ont sacré lfeu d’dans. Ça fini en feu dforât. Cpour ça qu’astheure, autour du snoshack, lé planteurs montent leu tentes din brûlés.
Mon billot stait pas allumé pis lfeu tait presque éteint. Me sulvé, j’ai baissé mé culottes pis j’ai commencé à pisser. Lbruit sourd dla braise qu’on arrose pis l’odeur de pisse qui chauffe m’ont endormi un peu. Pour rester réveillé, me su concentré sué jeunes plants dpins qui poussaient en tssour dé zarbs brûlés. En même temps j’essayais d’écouter pour vouère si y avait un char sua Trans-canadienne. On lé zentend vnir de loin. Lson bourdonne pendant un bout, ça s’approche ben lentement. Quand ça arrive ça fait un son comme si ça ramassait tute l’air qui a sul bord du chmin, pis ça s’en rtourne comme st’arrivé. Un aute parcelle d’éternité.
Un coup ma vessie vidée pis lfeu kèzment éteint, me su rtourné pis j’ai commencé à marcher vers mon slipigne. Lsoleil commençait à chauffer. Y allait faire beau. Dans trois heures d’icitte, y allait faire minimum 100 celcius dans tente pis j’allait me réveiller la yeule pateuse, à moitié soûl en train dcharcher mon air.
Y a une corneille kié vnue sposer su une branche au-tsu du feu en arrière de moué, j’la sentais qui mwatchait mtraîner hé pieds.
Un char s’en venait de vers l’Est. Lson dl’air déchiré pis du moteur m’endormait. Qui cé qui chauffait ste char là ? Un vendeur de cossins de Péribonka qui essayait de rpousser a faillite en allant virer à Kapuskasing? Un joueur de golf ? Kekun qui allait magasiner à Thunder Bay pour la fin dsemaine ? Tu fais quoi d’une fin dsemaine ? Pourquoi lgolf ? Pourquoi pas a faillite ?
Me su allongé dans lsâb du parking pour réfléchir un peu, lsoleil me chauffait a face. Me su mis en boule pis j’ai vu a corneille passer au-dssus de moué drette comme que jfarmais hé zyeux.






© Guillaume Pâquet

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