sans connaissance

Dans ce roman à la langue crue, détonante et pleine d'humour, Éric McComber nous raconte l'histoire tragi-comique d'Émile Duncan, de son enfance dans le Montréal-Nord des années 1970 - violence et « granolisme catho-colonisé » - jusqu'à sa plongée dans la sensualité brute et l'alcool, entre neige sale et ciel bleu.
— David Rochefort

mardi 12 décembre 2006

Illuse




C'est nul à chier, ma vie. J'suis pas une fille très populaire. On m'appelle pas, on m'invite pas. J'dis pas jamais, j'dis juste pas. Même mon chum m'invite pas. Je suis obligée de lui sauter dessus. En fait, je m'emmerde tout en me faisant croire que je suis amusée par la vie. Ah ! la belle illuse ! C'est quoi ce placebo ? La cerise sur le gâteau ? J'suis amoureuse d'un stoïcien pur laine. Son amour pour moi, il est au lit; il m'embrasse, me tripote les boules, le cul, me fourre, et hop ! Après ça, que de la charité.

Le travail de bureau pour du cash ça me décape le cœur à coups d'brosse de métal. Truffé de trous de culs sales qu'il est, ce bureau où je travaille. Ça sent propre y'a pas à dire. Ça se bijoute au toc, ça s'arque le talon du haut de rien, ça s'époumone le parler; une belle langue de terroir masquée à l'anglaise. Parler la langue de ceux qui les exploitent, qui les saignent et qui pillent leurs terres. Sont sous les pieds de l'ennemi, nos plus belles terres. Et cette ennemie qui siège à mes côtés a une face qui fait peur. Une face qui dégouline. Elle est maquillée comme un clown terrifiant. Riche mais décolorée jusqu'au nombril.

Petite Pause.

Y'a fallu que j'me crosse. Oui messieurs ! Y'a des madames au bureau qui se tintent la clochette dans les toilettes ! Bonne journée ! Mais là, faut que j'me saoule. J'ai mal jusqu'à la moelle. J'ai ce côté destructif quand les choses tournent mal. Il faut que je fasse quelque chose qui me rendra encore plus pitoyable, plus stupide. J'ai du Bacardi en dessous du bureau. C'est pas suffisant… Aujourd'hui, ça suffit pas… Faut que je sorte d'ici. Oups ! boss ! j'ai oublié un rendez-vous chez le dentiste ! Parfois je vais au cinéma… Mais là je vais direct à la maison.

Il est passé 22 h. À son tour il sort de la douche. Je pose érotiquement sur le sofa car je le vois venir vers moi obligé de me souhaiter bonne nuit. Ce p'tit bout de pâte à dent m'informe qu'il n'a plus son enivrante haleine de scotch et de cigarillos. Son Dior aussi me fait mouiller. Tant pis pour l'haleine, je lècherai de la menthe blanchissante. Il s'approche, j'entrouvre… Le bas de sa ceinture s'approche aussi… Son sexe connaît bien ma bouche, son sexe me veut. Mais c'est sa main qui approche. Il me tapote le crâne deux trois fois et marche vers sa chambre. Bon chien va, bon chien. Une attaque nucléaire, je me crispe et noircis.


J'ai la face collée au plancher. Je bave et mes dents égratignent le quart de rond. Je serre les mâchoires, j'en ai mal aux dents. Je m'enfonce la serviette dans la gorge et je mords de toutes mes forces. Après quelques longs cris étouffés, j'ouvre enfin la bouche pour respirer. Puis, enragée, je m’arrache les cheveux. L'alcool pour m'amollir, j'y songe, mais je ne peux même pas me rendre à l'armoire. Me casser les dents sur le lavabo, cette image qui me hante… Dans le miroir c'est pas moi. Je change ma voix, je m'insulte et mes yeux se révulsent. Je fesse dans le mur. Me garroche par terre. La crise m'écorche et me bleuit les jointures. Faudrait m'habituer à fesser dans le mou. Mais je fesse encore. Je mets mes deux mains dans ma bouche et je tire ma mâchoire vers le bas. Je me relève d’un bond. Des sons bizarres giclent de ma gorge, je crie par en dedans. J’arrache mes vêtements et je retombe à plat ventre. Je produis encore des sons horribles. Je répète toujours les mêmes mots de cette voix grave qui me fait mal à la gorge. Je me redresse et je me mets à faire des mimiques qui ressemblent à une danse d'intimidation maori. Personne ne m'a jamais vue dans cet état. Peu de chance que ça arrive. À cette étape, je veux m'enlever la vie et aussi, à ce moment précis et en un clin d'œil, tout devient considérablement insignifiant. J'suis tombée en courant on dirait. J'ai la face collée sur le prélart et mon œil droit est aveuglé par le sang.





© texte et photo : McDooodle, 2005

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