sans connaissance

Dans ce roman à la langue crue, détonante et pleine d'humour, Éric McComber nous raconte l'histoire tragi-comique d'Émile Duncan, de son enfance dans le Montréal-Nord des années 1970 - violence et « granolisme catho-colonisé » - jusqu'à sa plongée dans la sensualité brute et l'alcool, entre neige sale et ciel bleu.
— David Rochefort

lundi 1 janvier 2007

Des Faïences


Pour Sophie M.




N’émaillent-elles pas mon existence, telle et telle faïence, de la plus crue à la plus fine ? Enfant, déjà, on m’asseyait cul nu sur un petit pot glacé pour m’enseigner à chier civilisé. On m’observait, m’encourageait, me louangeait, me soudoyait, me morigénait vertement, m’admonestait, me tympanisait en choeur clanique, et quand mon petit truc montrait la tête, Mamie donnait dessus deux ou trois coups de semonce de son index sec.
Il y eut le cendrier de ma mère, un présent de fiançailles, une chose très chère, très ouvragée, à lambrequins dorés et bleus, cuite à grand feu, que je brisai par accident un soir de mes tristes dix ans, et j’allai vite l’enterrer dans le champ avec l’aide de la gardienne aussi épouvantée que moi : un éclat m’avait percé la peau, ça pissait rouge et raide et elle rompit une Marlboro pour égrener puis presser du tabac sur la plaie, ce qui stoppa l’hémorragie et me servit souvent dans l’avenir. Songer qu’une cigarette pansa blessure de cendrier, comme c’est étrange et singulier.
Puis il y eut ce broc et ce plateau anciens dans cette soupente parisienne, rue Sainte-Apolline, chez cette prostituée que je remontai voir six fois de suite sans lui laisser le temps de se rincer l’anus; je voulais être Henry Miller. Sur le trottoir, une SDF plus jolie mais moins séduisante modulait une goualante entre ses lèvres en porcelaine.
La soupière de Kevin, le bidet d’Amélie, les bibelots de Maïa, l’ex-voto de Mingo, les cuvettes incomptables où j’ai lâché mon fou en sortant mon méchant, les lavabos, les lisses tuiles décorées sur lesquelles j’ai sniffé tant de lignes froides, les yeux artificiels dans lesquels j’ai cherché menaçant mon reflet, les filles fragiles qui se fissurent au premier vif accent, les poupées de leurs mères qui fleurent féroces la naphtaline, que de sang, que de sang, je suis un éléphant à l’encan des faïences, le monde est un souk où tout ce qui se vend casse.





© Christian Mistral, 2004

1 commentaire:

Mighty Mélissa LeBlanc a dit…

Je manque tout ou quoi?
C'est magnifique.
All is said.